Kirigakure no Sato. Ce n’était pas la première fois que je mettais les pieds en ville. En tant d’années d’errance et en tant d’années d’apprentissage bien avant, j’avais eu à quelques reprises le loisir de visiter cette ville. Mon mentor et moi n’y avions jamais œuvré réellement, d’autres que nous étant implantés dans la cité de l’Eau, mais nécessité faisant loi, nos recherches et ne serait-ce que par besoin culturel et social, j’avais passé suffisamment de temps pour ne pas me perdre dans la ville. Je n’étais pas un citoyen, mais pour autant, je ne me sentais pas comme un étranger.

Cette fois, c’est avec une caravane marchande que j’entrais en ville. Bien entendu, compte tenu de mon faciès et de mon apparence si singulière, j’avais depuis longtemps fait en sorte de pouvoir me mouvoir aisément au sein de la foule. Ses objectifs étaient clairs et Sa volonté immuable, pour autant m’afficher tel que moi, Prophète de Son culte, était une douce erreur et un risque inutile que je ne pouvais prendre, du moins en ces heures-ci, en ces heures préparatoires à un dessein plus grand. Si le culte n’était pour certains qu’une rumeur, certains chasseurs connaissaient la vérité. De fait, il n’était pas à exclure que certains shinobis de haut rang de la Brume sachent également ce qu’il en était.

Le temps de la guerre viendrait, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui était le temps de l’information, le temps des recherches et le temps d’acquérir suffisamment de puissance pour revenir cette fois au grand jour et lancer Son grand plan.

Yosei Sogodaï. Tel était mon nom. Telle était mon apparence. Celle d’un homme rattrapé par les années au physique vieilli, mais à l’esprit encore vif. Yosei Sogodaï, un historien d’Ame no kuni, un homme reniant toutes foi pour se baser sur les faits, un homme habité par la volonté de mettre en lumière le mythe des bêtes à queues, un homme qui rêve de pouvoir côtoyer de prêt ces monstres légendaires. Yosei Sogodaï, c’était cet homme qui avait su tisser un lien ou deux avec quelques personnes du village. Un marchand d’art de renom et un vendeur d’alcool qui tenait une distillerie qui faisait de ses breuvages une boisson des plus délicate. Nul intérêt réel pour le Shi que j’étais, seulement une couverture si nécessaire, et optionnellement un avantage si l’occasion se présentait.


Si la surprise m’habitait rarement, je me laissais cependant surprendre par une foule pressée à rejoindre le point central, le point névralgique de la cité. Un homme sur une estrade, un homme que tout kirijin pouvait reconnaître, l’Ombre en personne. Dangereuse situation que voilà. L’espace d’un instant, je me voyais réduire à néant cet autocrate en un instant sans qu’il sache ce qui venait de lui arriver. Mais je n’étais pas là pour cela. Je n’étais pas prêt pour cela, je n’avais pas encore la force, non pas de l’occire, mais de maintenir ma propre existence en ces lieux avec l’ensemble des forces ennemis contre moi.

Ses paroles fallacieuses, vides de réels compliments n’étaient que fiel à mes oreilles. Seulement un élément de ce discours insipide sut attirer mon attention et m’arracher un sourire mordant.

Nibi !
Nibi …

Ces mécréants possédaient donc Nibi. Depuis quand ? Peu importe. Si son annonce consistait à dire que les préparatifs pour sceller le bijuu allaient permettre de lui choisir un hôte, cela voulait donc dire que le monstre était encore accessible, quelque part. Pour autant, difficile à dire où, et même en le sachant, cela impliquerait sans nul doute un lieu tenu secret et ultra sécurité.

Finalement, l’annonce survenait bien trop tôt par rapport à mes objectifs. Pour autant, cette annonce ne changeait pas grand-chose. Initialement, j’étais là pour un tout autre de ces monstres.

Sanbi …

La fin de son discours était comme le début, tout aussi prosaïque que terne. Son absence intérêt pour son peuple démontrait clairement que ses paroles n’étaient destinées qu’à tenir en laisse ses citoyens, leur faire une démonstration de la toute-puissance de son village.

Pathétiques pantins que vous êtes tous à écouter votre maître !
Pathétique marionnettiste que voilà à jouer le bon berger !

Il le sait tout cela, Il le voit, et à travers moi, Il vous montrera que vous suivez la mauvaise voie.

Il était rare que le Hōzuki assiste à ces réunions publiques. Du moins, assiste réellement. Oui il était présent, évidemment. Ses parents l’auraient écorché vif s’il avait eu l’audace de ne pas répondre à l’appel. Mais voilà, la vie politique du village l’intéressait peu du haut de ses quatorze ans, et la foule ne le laissait pas indifférent : il n’était pas rare que le Genin se hisse sur une devanture ou tout autre élément lui permettant de prendre de la hauteur. Les assemblées le mettaient mal à l’aise, et l’air peinait généralement à remplir ses poumons. Probablement à cause de cet incident. Plus jeune Kasai avait tenté de fuir un évènement de ce genre en usant de son don. Résultat il s’était fait piétiné, et l’expérience lui avait laissé un souvenir amer et angoissé.

Encore que cette angoisse n’était rien comparé à celle qui allait bientôt le saisir. Car si le Hōzuki avait dans l’esprit d’assister à la prestation du Quatrième en mode zombie, il serait vite sorti de sa torpeur. Accroupi sur une pergola de bois, le Genin se redressa de toute sa hauteur au nom de “Nibi”. Le démon. Le chat onirique. Quelqu’un allait devoir l’abriter. Le dompter. Si Kasai était un adepte des découvertes en tout genre, celle-ci ne l’intéressait pas. Pire : elle l’effrayait. Devenir un réceptacle n’avait rien de séduisant de son point de vue. Il fallait suivre un entraînement précis, supporter des étapes douloureuses, survivre au scellement. Et ces premières réjouissances passées, il fallait vivre avec. Contenir le démon, parvenir à le séduire pour en user. Quelques années auparavant Kasai se serait réjoui. Il aurait même fomenté un plan pour assister au scellement, apprendre.

Mais là il se sentait pâle, malade.

Les paroles du Quatrième lui semblaient floues. “Celui-ci sera publiquement annoncé”. Qu’est-ce que ça voulait dire ? L’hôte en question était-il déjà au courant ? Ou bien l’apprendrait-il durant la prochaine réunion publique ? Il semblait au Hōzuki que les pratiques liées aux démons avaient plus de chance d’aboutir sur un corps jeune, or il ne s’agissait certainement pas d’un nourrisson, puisque l’intéressé serait annoncé en public, plus tard. A quoi bon faire durer le suspens si le marmot est déjà sélectionné ? L’idée qu’un gosse puisse subir ce genre de traumatisme lui fila aussitôt la nausée. Et pourtant, une curiosité morbide venait de naître en lui, perfide. L’envie de savoir, de voir, de découvrir. S’il ne voyait que les inconvénients d’une telle opération, Kasai n’ignorait pas qu’héberger un démon, Nibi qui plus est, offrait certainement des points positifs. Au-delà de ça l’élu serait un véritable don pour Kiri, une garantie, un allié de taille. Une fierté sans borne remplirait le cœur du désigné.

Kasai reprit contenance au milieu du brouhaha. Si le Hyōketsu n’avait pas l’air de soigner ses entrées, il maîtrisait parfaitement ses sorties. La populace se retrouvait livrée à elle-même avec une bombe à retardement. Déjà son paternel se réjouissait de la nouvelle, certain qu’un Hōzuki serait sélectionné pour équilibrer les forces du villages. Et il n’était certainement pas le seul à avoir ce point de vue. Bientôt risquait d’éclater une zizanie sans nom, entre ceux qui scanderaient certainement bientôt leur nom.